République Centrafricaine
La silhouette longiligne de Lamine Bina émerge au milieu de son troupeau dans cette plaine du nord-ouest de la Centrafrique. En pleine période de transhumance, l'éleveur pose nerveusement son regard sur son cheptel, puis sur l'horizon.
Les milices armées comme les forces pro-gouvernementales ciblent fréquemment les nomades. Ce Peul de 37 ans, dont le nom a été changé pour sa sécurité, a durant deux décennies emprunté les mêmes couloirs de transhumance, entre octobre et juin, quittant les plateaux arides du Tchad et du Soudan pour rejoindre les plaines de Centrafrique et les grands marchés aux bestiaux.
Mais la résurgence des violences dans ce pays a changé la donne pour ces nomades. Après une baisse d'intensité depuis trois ans, la guerre civile, entamée en 2013 entre un État quasi-failli et une multitude de groupes et milices armées qui contrôlaient ou écumaient encore fin 2020 plus des deux tiers du territoire, a connu un brusque regain d'intensité quand des rebelles ont lancé une offensive il y a un an pour renverser le chef de l'État, Faustin Archange Touadéra.
Paramilitaires russes
Ils ont vite été repoussés par une fulgurante contre-offensive de l'armée grâce à l'appui de centaines de paramilitaires russes, des mercenaires de la société privée de sécurité Wagner selon l'ONU. Ils ont regagné la majeure partie du pays en repoussant les rebelles hors des agglomérations.
Mais ces derniers ont changé de tactique et mènent aujourd'hui des actions de guérilla dans les campagnes. Et ils rançonnent les éleveurs nomades, notamment durant la transhumance. Une manne pour les milices, l'élevage représentant en Centrafrique environ 13% du PIB, selon l'ONU.
Crainte des attaques
"J'ai perdu beaucoup de bœufs", se désole Lamine dans son long boubou beige, en caressant les naseaux d'une de ses bêtes. "Les rebelles me demandent régulièrement de l’argent, mais je ne peux pas payer. Ils prennent 10 ou 15 bœufs et la situation peut rapidement dégénérer si je refuse". Un drame pour cet homme qui possède environ 70 bêtes. Alors, par crainte des attaques, il reste près de Paoua, ville à 500 km au nord-ouest de la capitale Bangui.
"Cette situation m'oblige à vendre sur place, moins cher", explique-t-il la voix couverte par des bruits de sabots et des meuglements. "Ici, je peux gagner entre 200 000 et 300 000 francs CFA (300 à 450 euros) par tête, alors qu'à Bangui le prix grimpe à 400 000".
Milice d'autodéfense
Les rebelles, autour de Paoua, ce sont les 3R (Retour, Réclamation et Réhabilitation), un des groupes armés les plus puissants, se présentant comme une milice d'autodéfense peule et qui avait étendu, avant la contre-offensive russo-centrafricaine, son emprise sur tout le nord-ouest, empochant d'importants revenus de la transhumance.
Par peur d’être taxés, pillés ou tués, de nombreux éleveurs avaient rejoint ce groupe ou comptaient sur les 3R pour les appuyer dans leurs affrontements récurrents avec les cultivateurs sédentaires.
Conflits fonciers
Dans tous les pays de la bande sahélienne ou frontaliers de cette zone désertique, les affrontements sanglants entre éleveurs nomades et cultivateurs sédentaires sont un fléau récurrent depuis des temps reculés. Les uns faisant migrer leurs bêtes du Sahel pour les faire paître dans les zones moins arides, en l'occurrence du Tchad et du Soudan vers la Centrafrique, déclenchant fréquemment conflits fonciers et combats meurtriers.
Mais aujourd'hui, ces nomades assurent aussi être les cibles des forces pro-gouvernementales, en particulier des paramilitaires russes, récemment accusés par l'ONU de crimes et d'exactions contre les civils en Centrafrique. "Les militaires nous accusent d’être de mèche avec les rebelles", s'émeut un éleveur rencontré dans la zone de Paoua. "Il n’est pas rare qu'ils tirent sur nous et nos bêtes", assure-t-il.
Identification ethnique
Pour Thierry Vircoulon, spécialiste de la région à l'Institut français des relations internationales (Ifri), les éleveurs peuls sont "ciblés par les forces pro-gouvernementales" car assimilés aux miliciens des 3R. "Les Russes font une identification ethnique très simple" et ne cherchent pas à différencier un éleveur d’un milicien, renchérit Roland Marchal, chercheur du Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po Paris.
Les éleveurs, repoussés hors des couloirs de transhumance, empruntent d'autres routes et empiètent parfois avec leurs bêtes sur les champs des agriculteurs. En juin 2021, au moins 14 personnes ont été tuées dans des combats entre les deux communautés dans le nord-ouest, près de la frontière avec le Tchad.
"Le passage du bétail dans les champs des agriculteurs donnent parfois lieu à des incendies de maisons, des attaques et des meurtres", confirme Amadou Traoré, chef du bureau de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Paoua.
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